Papesse de la mode, elle est celle qui accumule les surnoms. 

Tantôt surnommée dame de Fer, glaçante impératrice, diable habillé en Prada, les personnes qui l'ont côtoyé s'accordent sur celui de Nucléaire Wintour. Un surnom bien choisi pour ce personnage exigeant et froid, qui orchestre le monde de la mode avec une main de maître. 

Cachée derrière ce carré coupé au couteau et ses grandes lunettes noires qui dissimulent son regard, elle impressionne, elle effraie, elle inspire, bref elle impose. Elle est adulée, détestée, appréciée, respectée, adorée, controversée.

Mais avec une vision bien tranchée, un caractère audacieux et une ambition extravagante, celle qui a mis le monde de la mode à ses pieds n'a pas fini de régner sur la fashion sphère. 

À la tête de la rédaction du Vogue Américain, l'Anglaise prescriptrice de tendance a toujours su qu'elle dirigerait le prestigieux magazine. Et pourtant, ce n'était pas gagné ! Études arrêtées, relations tumultueuses avec ses supérieurs, licenciée et détestée par ses collègues, elle finira par réaliser son rêve à force d'ambition et de travail acharné ou de bonnes relations. 

Si les dernières polémiques autour de la papesse de la mode ne présagent rien de bon, difficile à croire que le règne de celle qui a offert à Vogue sa prestigieuse réputation touche bientôt à sa fin. Car si, au cours de sa carrière, il y a bien une chose qu'Anna Wintour n'a eu de cesse de prouver : c'est qu'elle sait comment parfaitement retomber sur ses stilettos sans se casser un talon. 

Retour sur la success-story qui prouve qu'Anna Wintour est une véritable Girl Boss qui a bien des choses à nous apprendre en termes d'ambitions. 

Enjoy,

Les Éclaireuses

 

Anna Wintour, un avenir tout tracé dans la mode

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Siège réservé au premier rang de tous les défilés, elle arrive, des lunettes de soleil rondes toujours perchées sur son nez. Son regard dissimulé, aucune émotion n'est filtrée. Pas même un sourire ou un mouvement de sa bouche ne pourrait traduire ce qui se passe dans la tête de celle dont tout le monde connaît le nom. Mais vous dire que jamais elle n'aurait pu devenir cette femme controversée, la rédactrice en chef adorée, la Girl Boss respectée, serait mal connaître sa vie, son histoire, son enfance, son passé. Car c'était bel et bien écrit dans les pages de la vie d'Anna Wintour, peut-être grâce à une vie de privilégiée, un réseau bien connecté, ou une ambition assumée à la pointe de l'arrogance. C'est un mélange, un cocktail bien stylé et huilé, propre à cette prêtresse de la mode qui aura réussi à relever tous les défis qu'elle s'était fixés, à force de travail pas des moins acharnés. 

Tout commence à Londres, passionnée de mode, elle a déjà le flair pour les tendances. Elle assiste son père, rédacteur d'un journal anglais, et le conseille sur comment attirer des lecteurs plus jeunes. Elle a déjà l'œil et elle le sait. À 16 ans, elle décide alors d'arrêter ses études pour se consacrer au journalisme. Elle abandonne même les cours de mode que ses parents la forcent à prendre, annonçant que 'la mode, ça ne s'apprend pas'. En 1970, elle fait ses premiers pas dans le journalisme quand elle entre dans l'édition britannique du célèbre magazine Harper's Bazaar et devient assistante éditoriale. À peine installée, elle fait déjà savoir à ses collègues qu'elle ne compte pas rester, car son ambition à elle est de devenir rédactrice chez Vogue. 

Déjà à cette époque, Anna Wintour a un œil aiguisé pour dénicher les tendances et les nouveaux talents, et ses relations connectées lui permettront de travailler avec des photographes de renoms comme Helmut Newton. Cinq ans plus tard, elle quitte le magazine à cause d'une mésentente avec le nouveau rédacteur en chef Min Hogg. Sans aucun doute car elle courait après son job. Elle quitte alors Londres et part pour New York à la conquête du Vogue. 

 

Anna Wintour, quand l'innovation se lie à l'ambition

Dans la grande pomme, c'est de nouveau au Harper's Bazaar qu'elle débute son ascension. Cette fois-ci rédactrice de mode, elle a une approche innovante en ce qui concerne la rédaction de ses articles et les photos qu'elle choisit pour le magazine. Mais sa vision contemporaine n'est pas au goût du rédacteur en chef Tony Mazzola, qui après seulement neuf mois décide de la licencier. Quelques mois plus tard, son petit ami de l'époque, un playboy et rédacteur nommé Jon Bradshaw, non pas le cousin de Carrie, l'aide à décrocher son tout premier poste de rédactrice en chef mode. Ce n'est pas le Vogue US, mais il fera l'affaire. Pendant deux ans, elle travaille au magazine Viva, où elle forge sa réputation de femme exigeante. Quand le magazine est liquidé en 1978, Anna Wintour fait une pause avant d'arriver à la direction artistique du tout nouveau magazine féminin Savvy deux ans plus tard. Le tout jeune magazine a l'ambition qu'Anna Wintour insufflera au magazine Vogue : il veut cibler les femmes actives, carriéristes et indépendantes

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Un an plus tard, elle quitte les pages de Savvy pour se pencher sur celle du magazine New York. C'est un tournant pour sa carrière. Après des années de travail, Anna Wintour dispose enfin de la reconnaissance dont elle méritait grâce aux articles et photos qu'elle sélectionne qui attire l'attention des bonnes personnes. Elle se fait rapidement un nom à force de créativité et d'innovation. Elle sera la première personne à réaliser que la présence d'une célébrité en couverture peut influer le nombre de ventes, et ses magazines seront les premiers à demander à des stars de cinéma de poser devant leurs caméras. Elle touche au Graal quand enfin une ancienne collègue du magazine Harper's Bazaar, nommée à l'époque Harper's & Queen, lui arrange un entretien avec la rédactrice en chef de Vogue, Grace Mirabella. Un premier entretien que l'on peut considérer comme loupé quand Anna Wintour fait savoir à son interlocutrice qu'elle prendra un jour sa place. Évitez de le dire à votre prochain recruteur... 

Elle obtient une nouvelle chance de faire ses preuves au Vogue quand le directeur d'édition à Condé Nast, Alexander Liberman, repère lui aussi son travail unique et décide de la nommer directrice de la création au Vogue, un poste spécialement crée pour l'éditrice et sa force de proposition. Mais dans les couloirs du magazine américain, sa vision aiguisée et ses ambitions innovantes ne sont pas au goût de tous. Lassée par le Vogue US qu'elle trouve inintéressant et dépassé, elle tente des changements novateurs qu'elle ne prend pas la peine de valider auprès de Grace Mirabella. Sans surprise, les tensions permanentes avec l'éditrice en chef finissent par avoir raison du poste d'Anna Wintour. Elle est envoyée à Londres pour prendre la direction du Vogue britannique. Son rêve, elle n'en est plus très loin. 

 

Une vision créative : un cocktail parfait pour le Vogue

C'est dans l'édition britannique du Vogue qu'Anna Wintour obtient son surnom Nuclear Wintour. Son arrivée fait l'effet d'une bombe qui détruit ou du moins change tout sur son passage. Elle forme une nouvelle équipe, une nouvelle vision, un nouveau magazine. Traditionnellement excentrique, elle veut trouver une nouvelle orientation pour le magazine et s'inspire du modèle du magazine Savvy pour que le Vogue attire l'oeil des femmes d'aujourd'hui. À la tête d'un magazine Vogue, elle exerce davantage de contrôle sur le magazine que ses prédécesseurs, et son remaniement actif du magazine lui offrira un nouveau poste à New York, lorsque le magazine House & Garden, au bord du naufrage, lui offre direction et carte blanche pour redresser la situation. Une nouvelle fois, Anna Wintour souffle son vent glacial et créatif sur le magazine de décoration, devant les regards impuissants des employés licenciés un à un. En une semaine, elle dépense deux millions de dollars, elle inclut des photos de mode, change la vision du magazine, le renomme et attire de nouveaux annonceurs au détriment de ceux déjà présents qui se retirent. Finalement, son travail de remaniement n'a pas l'effet escompté. Au bout de dix mois, il est temps pour elle de changer de voix pour le Graal qu'elle attendait : la direction du Vogue américain. 

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Alors que le magazine perd son lectorat au détriment du magazine Elle, Anna Wintour est appelée pour tenter de sauver les pots cassés. Elle fait alors ce qu'elle fait de mieux et souffle un peu de fraîcheur, de nouveauté et d'innovation à ce magazine si dépassé. Elle revoit les couvertures du magazine et décide de troquer les it-girls du moment pour des mannequins méconnus, les décors faux en intérieur pour des scènes vivantes en extérieurs, et les pièces de créateurs pour des looks accessibles mélangeant haute couture et intemporels d'une garde-robe. C'est un cocktail qui marche. Et sa première couverture, l'édition du Vogue de 1988 sur laquelle une jeune mannequin de 19 ans pose dans un jean à 50 dollars et une veste brodée Christian Lacroix à 10 000 dollars, est un succès. Cette couverture devient alors sa signature, un mélange mode savant qui rend le haut de gamme accessible et qui attire les femmes du monde entier. 

 

Un oeil pour le talent, une marque de fabrique d'Anna Wintour

Au fil du temps, Anna Wintour s'impose comme une déesse de la mode, l'une des femmes les plus influentes du milieu, capable de lancer une carrière en un claquement de doigts et d'en briser une en un pincement de lèvres. Elle lance les tendances, déniche les noms qui finissent à toutes les bouches en très peu de temps et crée le futur du milieu en allant chercher les prochains créateurs du futur. Elle a une force de persuasion si intense qu'il est impossible de lui dire non, serait-ce car elle sait utiliser les bons mots ou parce que son regard caché derrière d’énormes ronds noirs effraie même les âmes les plus braves ? On ne le saura sans doute jamais. Mais ce qui est sûr c'est qu'Anna Wintour a l'ambition mais aussi l'oeil. Elle aide John Galliano à être recruté comme directeur artistique pour Christian Dior en lui assurant une aide financière pour lancer sa marque, assiste un jeune homme à obtenir un stage chez Michael Kors avant qu'il lance sa propre marque : Proenza Schouler, elle recrute Alexander Wang au Vogue avant qu'il lance son propre label, et les noms sont encore nombreux. Alexander McQueen et Marc Jacobs doivent également beaucoup à celle qui a inspiré le film 'Le Diable s'habille en Prada'. 

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Dans le cours qu'elle propose avec la plateforme Masterclass, elle explique : "L'une des joies de travailler à Vogue est de pouvoir aider à mettre en lumière de nouveaux talents, et de nous permettre de les soutenir, leur apprendre et les guider comme nous le pouvons. Et je pense que les talents, les jeunes créateurs peuvent venir à vous de n'importe où". Si elle donne l'apparence d'une femme froide et sans coeur, Anna Wintour est simplement une femme ambitieuse qui ne laisse pas ses émotions la guider. Son ancienne assistante devenue styliste de star, Kate Young, raconte son premier entretien avec Nuclear Wintour : "Elle m'a dit 'c'est un travail fastidieux, un travail difficile, mais si tu es douée, ça vaudra le coup'". Et elle n'a pas menti. Seconde assistance de la rédactrice en chef, elle est en communication journalière avec les showrooms des designers. Quand elle finit par se lancer dans le stylisme, toutes les portes lui sont ouvertes ! Mais ça, c'est pour un prochain Ce Sont Elles les Bosses

Au sein de Vogue, Anna Wintour tient à interviewer toutes les personnes qui passent entre les murs du prestigieux magazine, car elle veut investir dans les bonnes personnes, les femmes qui pourront grandir, évoluer, s'épanouir dans leur métier. 

 

Anna Wintour, rédactrice en chef et véritable célébrité  

Présente à tous les défilés et événements du monde de la mode, elle est devenue une figure respectée et pourtant si peu connue ou du moins mal cernée. Aujourd'hui, elle s'impose comme une véritable Youtubeuse, multipliant les vidéos pour la chaîne du magazine où elle échange avec humour avec Meryl Streep, répond aux questions de la communauté ou montre à quoi ressemblent ses journées comme juge du Conseil des Créateurs de Mode Américains. Elle se prête même aux jeux des interviews télévisées, mange une pizza au bacon avec James Corden et parle de ses looks préférés du dernier MET Gala avec Stephen Colbert. Elle se rend accessible, sympathique et défie l'image que le monde de la mode a fait d'elle. Serait-ce une nouvelle stratégie pour redorer l'image du Vogue américain ? Car depuis le début de son règne Anna Wintour n'a eu de cesse de prouver qu'elle savait faire preuve d'innovation et surtout qu'elle savait comment relancer une machine un peu rouillée.  

Mais depuis peu, Anna Wintour se fait plus discrète. Une vague de polémiques frappe le magazine, ne s'en prenant pas qu'au magazine mais davantage au poste de la grande prêtresse de la mode. Si la couverture du magazine avec la nouvelle Vice-Présidente Kamala Harris ne plaît pas, ce n'est pas la seule raison qui attise les foudres. Sur les réseaux, les langues se délient et les témoignages tombent les uns après les autres. Le magazine est accusé de racisme et de discriminations salariales. Même son ancien collaborateur et ami depuis plus de 30 ans témoigne écrivant dans son livre : "une femme coloniale, appartenant à un environnement colonial, qui ne se remet pas en question et ne laissera rien mettre en péril ou questionner son privilège blanc". 

 

La fin du règne d'Anna Wintour ? 

En parallèle, le magazine est critiqué pour son manque de diversité et d'inclusivité alors qu'outre-Atlantique, son homologue anglais brille et met en  lumière les personnes en premières lignes dans la guerre contre le COVID. Alors que les témoignages continuent de pleuvoir pour le Vogue US, les rumeurs vont bon train. Et au cours de l'année 2020, on murmure qu'Edward Enninful, rédacteur en chef de l'édition britannique du Vogue, allait remplacer la Papesse de la mode. Des rumeurs qui rappellent l'intrigue du 'Diable s'habille en Prada', n'est-ce pas ? Journaliste de 48 ans, il est plus jeune, plus hype, bref il est en pleine ascension et il a été nommé par le Time comme l'homme le plus important de la mode. Anna Wintour est-elle sur le point de se faire détrôner ?

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Mais dans cette tempête qui affecte le Vogue, la rédactrice en chef fait ce qu'elle fait de mieux et fait preuve de créativité pour attirer un lectorat toujours plus connecté et à l'image des femmes du monde d'aujourd'hui. Sur le compte Instagram du magazine américain, les images défilent avec toujours plus de diversité, toujours plus de portraits modernes. En couverture du magazine du mois de mai 2021 : Amanda Gorman, la poétesse américaine à la tête d'un mouvement. Entendue pour la première à l'investiture du Président Joe Biden et sa Vice-Présidente Kamala Harris, elle avait ému le monde entier avec ses mots poignants et émouvants, cris d'une génération tout entière après les années Trump qui ont mis en danger les libertés. 

Alors est-ce vraiment la fin pour Anna Wintour ? La déesse de la mode n'a pas dit son dernier mot et continue son règne avec une main toujours aussi exigeante et puissante. Nommée directrice éditoriale globale de Condé Nast, elle a désormais la main sur une dizaine de publications éditoriales. Récemment, on a pu voir l'arrivée du début de sa stratégie préférée. Alors que la France voit ses publications souffrir, Condé Nast a annoncé une vague de licenciement dont les rédactrices en chef de Vogue Paris (Emmanuelle Alt), GQ et Vogue Hommes (Olivier Lalanne) et le directeur éditorial de Vanity Fair (Joseph Gosn). D'autres publications internationales subissent le même sort et voient leurs précieux rédacteurs en chef se faire pousser vers la porte de sortie. C'est notamment le cas pour le Vogue Brésil, Chine, Inde et Espagne. À ce jour, seule la Chine a nommé une remplaçante avec l'influenceuse Margaret Zhang qui a repris le rôle de rédactrice en chef du magazine. Serait-ce une dernière tentative pour exercer son rôle tant qu'elle le peut ? Ou un véritable moyen de sauver en particulier le magazine pour lequel elle a tout fait ? 

En tout cas, si vous ne l'avez pas compris à travers ses lignes si Anna Wintour s'est fait un nom, sa couleur de peau et son réseau ont sûrement aidé, mais c'est la force de son ambition, sa confiance en elle et sa constante créativité qui a fait d'elle le personnage respecté et adulé qu'elle est. Elle a toujours voulu devenir rédactrice en chef du Vogue, et à force d'y croire, elle y est arrivée. 

 

 

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