Travaille dur mais amuse-toi plus encore

Alice Weill 09 novembre 2023

Personne ne veut que son travail prenne le dessus sur sa vie, n'est-ce pas ?
La nouvelle génération en a marre de faire du boulot leur priorité numéro une. Ils veulent une vie équilibrée, profiter de chaque instant sans se cramer au taff. C'est un vrai changement de mentalité. Fini le temps où on pensait qu'on devait passer notre vie à trimer car on commence a bien comprendre qu'il y a autre chose dans la vie que le boulot. On veut être heureux, s'éclater entre potes, et garder son propre équi

Je suis récemment tombée sur une vidéo virale, d'une jeune fille qui pleure parce qu'elle est stressée par son travail. Elle dit : "Je dois être tellement dramatique et ennuyeuse", tandis que des larmes coulent sur son visage plein de mascara. "Travailler de 9h à 17h, c'est insensé. Comment avez-vous des amis ? Comment trouvez-vous du temps pour sortir avec quelqu'un ? Je n'ai pas de temps pour quoi que ce soit. Je suis tellement stressée." Cette vidéo a touché beaucoup d'entre nous, coincés dans la routine du quotidien. Cette fille est devenue une sensation TikTok du jour au lendemain, et ses paroles sont devenues un cri de ralliement pour toute une génération.

Quand la vidéo a commencé à se propager comme une traînée de poudre, les premiers commentaires n'étaient pas du tout sympathiques. Elle a été largement critiquée par tous les travailleurs acharnés et baby-boomers autoproclamés experts en matière de "vrai travail". Une personne sur X (anciennement Twitter) s'est même moquée en disant : "Une fille de la génération Z qui découvre ce que c'est qu'un vrai travail." Un autre commentateur, totalement à côté de la plaque, a écrit : "Les adultes privilégient leur capacité à gagner de l'argent, pas les amis ou les rencontres amoureuses. Les adultes ne donnent plus la priorité à la satisfaction de leurs propres besoins." Ils semblent oublier que quand on est jeune, célibataire et sans amis, on n'a vraiment pas à "satisfaire les besoins" de quelqu'un d'autre.

Ensuite, les choses ont commencé à changer. Les gens ont réalisé que cette "fille de la génération Z" tenait quelque chose : « Le travail, c'est nul ! », « Aucun d'entre nous n'a de temps pour quoi que ce soit ! » En quelques jours, elle est devenue la porte-parole d'un sentiment grandissant : nous ne voulons plus que nos vies tournent autour du travail.

Ce débat anti-travail est généralement dominé par des tendances internet à la mode comme le "quiet quitting" (départ discret) ou encore le «Lazy girls job » (le travail pour les filles feignantes). Mais en réalité, ce que l'on observe, c'est un important changement social. Au cours des 30 dernières années, selon une étude de l'IFOP menée par la Fondation Jean Jaurès, le travail est devenu moins important dans la vie des Français. Il y a une tendance croissante à valoriser un meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, avec de moins en moins de personnes pensant que le travail devrait être prioritaire sur le temps libre, que travailler beaucoup garantit le succès, ou que ne pas travailler vous rend paresseux.

Cependant, il y a une nette division générationnelle. Plus de la moitié des Français âgés de dix-huit à vingt-quatre ans ont déclaré préférer accorder moins d'importance au travail dans leur vie, tandis que les générations plus âgées ont tendance à croire que la carrière devrait toujours passer en premier, même à la retraite.

Maintenant, jetons un autre coup d'œil à cette célèbre vidéo TikTok. Ce qui m'a frappée, c'est la façon dont cette "fille de la génération Z" minimisait ses propres sentiments. Elle se qualifie de "dramatique" et attribue son émotivité à ses règles. On dirait qu'elle anticipe les critiques que les gens allaient lui adresser, comme si elle pense être "trop sensible" elle-même. On ne peut pas nier que les générations plus âgées ont induit les plus jeunes en erreur en ce qui concerne le travail. Alors que les salaires stagnent et que les coûts ne cessent d'augmenter, la génération qui a bénéficié d'environnements de travail plus stables nous a d’une certaine manière convaincus que si nous sommes tristes et stressés, c'est juste un problème avec notre éthique professionnelle. On nous accuse d'être trop sensibles, trop exigeants, voire tout simplement fainéants de ne pas avoir un "vrai travail", alors que tout ce que la plupart d'entre nous veulent, c'est une bonne nuit de sommeil et moins de dettes.

Prenez Elisa, par exemple. Elle est une graphiste de 26 ans qui travaille depuis six mois dans une boîte de pub, et elle déteste carrément son travail. "Mes employeurs sont obsédés par l'horaire traditionnel de 9h à 18h", plaisante-t-elle. "Où sont tous ces emplois magiques de 9h à 17h dont tout le monde parle ?" Si l'on tient compte de son trajet de 50 minutes pour se rendre au travail, elle travaille 12 heures par jour, ce qui, selon elle, nuit à sa productivité. "Le 9h-17h favorise des habitudes de travail inefficaces", déclare Lucie, une gestionnaire des médias sociaux dans la trentaine. "Je peux accomplir beaucoup en seulement quelques heures, mais on me force à rester au bureau sans raison valable. Le reste du temps est passé à regarder l'heure, à boire du thé et à discuter." Elle pense que structurer la journée autour de ces heures de travail fixes est "inutile, étouffant et démoralisant", mais ses supérieurs hésitent à changer ce modèle de bureau "traditionnel". Même après la COVID-19, dit-elle, "il y a toujours cette attitude prédominante selon laquelle travailler de la maison signifie être moins productif". Elisa est confrontée à une situation similaire. Chaque fois qu'elle demande à travailler depuis chez elle – que ce soit pour attendre le plombier, à cause d'une grève des transports ou simplement parce qu'elle ne se sent pas bien et aurait besoin de passer du temps à la maison sans devoir feindre la maladie – ses employeurs refusent. "Ils disent que ça n'est bénéfique pour l'entreprise en aucune manière", dit-elle. "J'ai demandé si le bien-être des employés n'est pas un avantage, mais apparemment, ce n'en est pas un."

Selon Flora Baumlin, directrice des études en entreprise et en expérience de travail à l'IFOP, les attentes de la génération Z sont différentes. Ils estiment qu'ils sont plus que leurs emplois et ils s'attendent à ce que leurs employeurs en soient conscients. Il ne s'agit pas de manquer d'une forte éthique de travail ; ils sont tout à fait prêts à travailler dur. Mais ils ne sont pas aussi disposés à vivre pour travailler comme les générations précédentes. En partie, c'est parce qu'ils sont plus attentifs à leurs besoins en matière de santé mentale.

Il vaut toujours la peine de se rappeler que l'horaire de 9h à 17h (qui est d’ailleurs plutôt 9h-18h en France) est une invention relativement récente, et non une vérité éternelle. Nous espérons bientôt le considérer comme un vestige d'une époque révolue. Il a été instauré pour soutenir notre société patriarcale – les hommes allaient travailler et les femmes restaient à la maison pour cuisiner et s'occuper de la famille. Il est clair que les choses ont beaucoup changé depuis, et nous essayons de trouver l'équilibre entre cuisine, temps pour prendre soin de soi, sa famille et ses amis. N'est-ce pas une bonne chose que la génération Z remette tout cela en question ?

 

Tags : C'est qui la Boss

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